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Projet de Développement Rural Intégré de M'bour et Louga (1991)

18 décembre 1991

Résumé du rapport d'évaluation terminale

Initialement, les deux zones d'intervention étaient assez éloignées et différentes l'une de l'autre bien que situées toutes deux dans le Bassin arachidier (BA): le département de M'Bour situé au sud de Dakar, très peuplé (173 habitants/km2) et bénéficiant d'une pluviométrie de 400 à 500 mm; la région de Louga au nord, très étendue, peu peuplée (26 habitants/km2) et peu arrosée (pluviométrie de 200mm), elle-même divisée entre sa partie occidentale qui constitue l'extrême-nord de la zone de culture de l'arachide et sa partie orientale à économie principalement pastorale. Comme dans le reste du BA, la population rurale de ces régions est en voie de paupérisation: le prix de l'arachide au producteur en FCFA constant a diminué de moitié entre 1960 et 1980 et la base de ressources (terres, végétation naturelle, climat) se dégrade de façon alarmante.

Suite aux modifications du projet initial, la zone d'intervention a été étendue à l'ensemble du BA.

Conception et objectifs du projet

Groupe cible

Initialement, le groupe cible était constitué des catégories les plus défavorisées: les femmes et les jeunes ménages dépendants n'ayant pas accès aux services de crédit et de vulgarisation.

Objectifs et composantes du projet

Les objectifs initiaux du projet étaient l'augmentation de la production agricole (vivrière et arachidière), l'amélioration des conditions de vie des populations rurales et la restructuration du système coopératif sur la base de groupements volontaires.

La mise en oeuvre du Projet de développement rural intégré de M'Bour et Louga (PML) a été retardée de près de cinq ans pour des raisons d'ordre institutionnel, financier et politique.

En 1985, dans un contexte institutionnel et politique complètement modifié (Plan d'ajustement structurel, dissolution de la SONAR successeur de l'ONCAD, Nouvelle politique agricole, crise arachidière, compression massive des effectifs de la SODEVA, création de la CNCAS et loi sur les GIE [], la conception générale et une partie des objectifs initiaux du PML sont abandonnés.

Le prêt n'est pas annulé et sert finalement à financer successivement cinq programmes annuels d'activité.

Les objectifs du projet s'avèrent donc ceux confiés à la SODEVA (chargée de la réalisation du projet) par le gouvernement à savoir, la structuration du milieu à travers les GIE et les strutures coopératives en général et l'augmentation de la production agricole.

On peut distinguer trois composantes dans ces programmes:

  • l'intensification de la production des cultures vivrières pluviales, mais, mil et niébé par la fourniture de crédits de campagne gérés par le projet (engrais et semences selectionnées) et de services d'approvisionnement et d'encadrement;
  • des actions d'accompagnement: construction de magasins pour la régularisation des échanges céréaliers (Banques Céréalières Villageoises BCV), aménagement de petits périmètres villageois autour des forages PPIVF, esquisse d'un programme de motorisation avec l'achat de tracteurs;
  • un projet de lutte contre les nématodes.

Évaluation

Evolution du contexte en cours d'exécution

A partir de 1986, de nombreux projets sont mis en oeuvre dans le BA, en dehors de la SODEVA et certains s'automisent entièrement: PLN, semences de mais. En 1987, le gouvernement retire à la SODEVA la mise en oeuvre du programme Fonds commun. La SODEVA n'ayant pas de ressources propres à partir d'activités industrielles ou commerciales, ne captant plus les financements liés aux projets extérieurs et ne recevant plus de l'Etat de subventions suffisantes, se trouve actuellement dans une situation où elle ne peut plus fonctionner.

Réalisations du projet

L'intensification des cultures pluviales a été la composante essentielle du PML. Elle a été conçue et mis en oeuvre en trois programmes concernant trois cultures: le mil, le mais, le niébé. Ces programmes ont consisté en une diffusion de paquets techniques standart (semences + engrais ou produit phytosanitaire) avec fourniture d'un crédit de campagne.

L'intervention de la SODEVA passait par les Groupements de Producteurs (GP) sensés devenir Groupements d'intérêt Economique (GIE) après reconnaissance officielle. 1.972 groupements ont successivement bénéficié des crédits du PML. Les encours annuels se situaient entre 150 et 250 millions de FCFA. Les impayés accumulés par les GP et GIE s'élèvent à 190 millions deFCFA soit 23% du total des crédits accordés en 4 ans et 59% du montant du fond de crédit renouvelable.

Ont été construits 164 magasins vivriers villageois (censés servir à des Banques Céréalières Villageoises BCV mais qui sont restés vides de céréales pour la plupart) et 4 petits périmètres irrigués (totalisant 16 ha) en fin de projet.

Un projet de lutte contre les nématodes a été financé pour augmenter les rendements d'arachide et de mil dans le centre du BA. Malgré des résultats techniques encourageants, le FIDA s'est retiré du PLN en 1987.De caractère strictement technique, financièrement onéreux et risqué, les services proposés par le PLN étaient peu adaptés aux capacités du groupe cible du FIDA, ils semblent cependant justifiés du point de vue agronomique et économique.

Les 4 petits périmètres irrigués dans la région de Louga n'ont été achevés qu'après la fin du projet et sans que les groupements d'exploitants aient été formés à leur gestion. Ils semblent pour l'instant très appréciés par les 246 attributaires de parcelles. Les infrastructures de pompage fournissent également de l'eau potable à plusieurs milliers de villageois ainsi que des points d'eau pour le bétail.

Appréciation des effets du projet et de leur pérennité

Bénéficiaires: Les bénéficiaires des programmes vivriers ont été de 6.000 à 9.000 producteurs selon les années. Leur nombre est en diminution constante à partir de 1987/88 à cause des exclusions groupements pour impayés. Les bénéficiaires ont été principalement ceux des régions de Kaolack et de Fatrick. Le PML a très peu profité au groupe cible fixé dans le projet initial , les petits producteurs de M'Bour et Louga.

Pour le mil, moins de 1% des surfaces de l'ensemble regional ont été améliorées; pour le niébé 1,5% et pour le mais 25%.

La production additionnelle annuelle imputable aux programmes vivriers entre 1986 et 1989 peut être estimée à 8.000 à 9.000 t. de céréales (dont les deux tiers de maïs), soit environ 2% de la production céréalière du BA, pour 6.000 à 9.000 producteurs regroupés en 600 à 760 groupements participants selon les années (tendance à la baisse des participants à partir de 1987 à cause des exclusions pour impayés). Le paquet techniques proposé sur le maïs et le mil s'est révélé efficace en année bonne et moyenne (les rendements moyens ont doublé), mais inadapté aux capacités économiques et financières du groupe dible du PML. Le programme niébé, qui n'a pris une certaine ampleur qu'en 1989/90, a eu un effet négligeable sur la production et s'est révélé financièrement négatif pour les producteurs.

Effets sur les revenus des bénéficiaires: les effets sur la production de mil et surtout de mais ont engendré une augmentation significative des revenus agricoles.

Appréciation de la durabilité:

Sur les 1.972 groupements qui auraient travaillé avec le projet, 1.740 regroupant 91% des exploitations participantes n'ont pas remboursé complètement leur dettes. Ils ont donc été exclus des programmes et se trouvent interdits d'accès au crédit de la CNCAS pour financer l'achat d'engrais.

Aussi, les effets sur la production de mil et mais ne se sont pas pérennisés. Le PML ne débouche pas sur un processus de développement. Il n'a eu pratiquement aucun impact durable sur les systèmes de production et les structures d'exploitation. Due pour l'essentiel aux fournitures intrants à crédit par la SODEVA/PML, l'augmentation de la production vivrière n'a pas de caractère durable faute de solution de continuité des services au-delà de la clôture du prêt du FIDA.

Les 4 petits périmètres irrigués dans la région de Louga constituent les seuls investissement productifs significatifs au niveau des exploitations. Extrêmement coûteux et entièrement subventionnés, leur viabilité financière et leur réplicabilité restent à démontrer.

Le projet a suscité la création de 250 GIE le plus souvent formels et artificiels. Non seulement les GIE reconnus ont été peu nombreux mais, loin de constituer des moyens de promotion, d'initiative et de solidarité paysanne, les groupements du PML sont restés des instrument de mise en oeuvre des programmes techniques du projet. Aux yeux des paysans, la raison d'être des groupements était l'accès qu'ils ouvraient au crédit de campagne et à l'approvisionnement en intrants par la SODEVA. L'impact extrêmement limité du projet sur la promotion du monde rural a réduit d'autant les perspectives de pérennité des effets du projet.

Principaux problèmes rencontrés

L'absence de perspective de d'investissement à moyen-long terme du fait de l'horizon annuel de la programmation. A la fin de l'année 1980, les conditions complémentaires pour l'entrée en vigueur du prêt n'étant pas réunies, le projet a été suspendu. Puis, la programmation annuelle est apparue comme une pratique imposée par un environnement politique et institutionnel confus. Cette pratique a fait perdre au projet toute sa "spécificité FIDA", en particulier en ce qui concerne le groupe cible, mais aussi sa nature de projet d'investissement. Les programmations annuelles ont été centrées sur les objectifs techniques et quantitatifs de la SODEVA. Les objectifs initiaux de formation et promotion du monde rural ont été largement oubliés.

L'exclusion du système de crédit d'un grand nombre de producteurs

Si la rigueur dans l'exigence de remboursement intégral des crédits semblait parfaitement justifiée après le passé de laxisme du système ONCAD/coopératives, elle s'est révélée inopérante dans le cadre de programmes de crédit agricole standardisés inadaptés aux capacités de nombreuses exploitations, en particulier dans le centre et le nord du BA. Il était clair dès le début du projet que les remboursements de crédit ne pouvaient être garantis par les productions vivrières additionnelles, en grande partie autoconsommées (sauf chez les gros producteurs de maïs de la région de Kaolack). Les revenus monétaires des paysans étaient et sont toujours issus principalement de la production arachidière et secondairement d'activités extra-agricoles ou d'élevage en faveur desquelles le PML n'avait rien à proposer.

Les difficultés de remboursement intégral des dettes contractées par la grande majorité des groupements participants et leur exclusion consécutive de l'accès au crédit CNCAS, menacent aujourd'hui la politique de relance du crédit agricole dans le BA (précisément fondée sur l'association GIE-CNCAS). Si la production arachidière en est peu affectée (le crédit pour les semences d'arachide passant par les sections villageoises de coopératives), c'est un élément important de la politique vivrière du gouvernement (l'intensification de la culture céréalière pluviale) qui se trouve compromis. Cette issue était probablement évitable, comme le suggèrent les taux de recouvrement des crédits relativement bons en 1987 (86%) et 1988 (83%).

L'absence de formation et de réelle promotion du monde rural

Le projet, "enfermé" dans le concept de GIE qui était le mot d'ordre politique a ignoré toute autre forme associative telles que les sections villageoises des coopératives et surtout l'ensemble des associations paysannes très présentes dans le BA (associations diverses, ententes, FONGS, etc...). Prisonnier de schémas techniques, financiers et organisationnels, le projet n'a pas su analyser, suivre et appuyer les dynamiques locales, préférant s'adresser à la clientèle habituelle de la SODEVA.

Recommandations et leçons à tirer

Un nouveau projet de développement rural dans cette région aura pour objectif d'augmenter la capacité d'autonomie des ruraux et leur pouvoir d'initier, de mettre en oeuvre et de gérer les actions économiques, culturelles et sociales les concernant. Il faut abandonner résolument les interventions classiques consistant à "démarcher et vendre" dans les villages des paquets techniques uniformes afin de réaliser, avec un grand nombre de producteurs, des objectifs de production fixés de façon centralisée.

Un tel projet ne devrait en aucun cas être conçu comme "un prolongement" ou "une suite logique" du PML. Le FIDA ne pourra remplir son mandat dans cette région qu'en adoptant une démarche radicalement nouvelle, fondée sur un diagnostic approfondi de la crise des systèmes agraires locaux dans toutes leurs dimensions écologiques, sociales et économiques. Une telle démarche devra rompre avec les politiques d'encadrement agricole et de vulgarisation technique standardisée dont le PML a une nouvelle fois montré la faillite, elle devra au contraire situer le producteur au centre du processus de décision en mettant à sa disposition un service de formation/conseil, appuyer (et s'appuyer sur) les dynamiques endogènes d'organisation paysanne et les initiatives économiques locales, agricoles et non agricoles, porteuses d'un développement durable et maîtrisable par le groupe cible du FIDA. La formation et le conseil aux associations paysannes dynamiques et aux petites entreprises rurales, l'appui au développement d'un système d'épargne et de crédit réaliste et adapté aux besoins et aux capacités des ruraux pauvres (en particulier des femmes), un fonds d'aide à l'investissement local, des incitations à la diversification des activités génératrices de revenu et à l'adoption de techniques d'exploitation agro-sylvo-pastorales écologiquement soutenables, l'établissement de nouvelles relations partenariales entre opérateurs privés, associatifs et publics constitueraient les principaux axes de ce nouveau projet.

Quatre leçons de portée générale peuvent être tirées de ce projet:

Lorsqu'un projet connaît des retards prolongés dans le démarrage de sa mise en oeuvre et que son contexte initial s'en trouve profondément modifié, il faut le reformuler et le réévaluer complètement ou l'annuler. L'expérience du PML montre que les solutions intermédiaires improvisées sont extrêmement risquées;

Le financement de programmes annuels "au coup par coup" devrait être évité à tout prix. Mis à part la lourdeur des procédures administratives qu'il implique, un tel arrangement enlève au projet toute perspective stratégique à moyen-long terme et empêche toute action en profondeur sur les systèmes agraires. L'absence d'impact durable du PML est une conséquence directe du principe de programmation annuelle. Les processus de développement agricole et de promotion économique et social des populations rurales sont lents. Ils exigent des actions prolongées et suivies et l'établissement de relations de confiance entre paysans et agents de développement. Un horizon de l'ordre de la décennie semble minimum;

L'expérience du PML montre, après tant d'autres, que la suscitation d'organisations paysannes par des projets "importés" et à durée limitée est une action sans lendemain, et ce quel que soit le statut formel de ces organisations (GIE, coopératives ou groupements villageois, etc.). Les projets ont tendance à instrumentaliser ces organisations pour atteindre leurs objectifs quantitatifs à court terme (nombre de bénéficiaires, augmentation de production, etc.). Quant aux paysans, ils se groupent pour des raisons opportunistes et sans dynamiques endogènes de changement social. Lorsque l'organisation socio-professionnelle des bénéficiaires est à la fois un objectif et une condition de la mise en oeuvre des projets, ces derniers doivent s'appuyer sur les formes d'organisation et les dynamiques associatives préexistantes (à cet égard, le Sénégal est l'un des pays d'Afrique de l'ouest où le mouvement associatif paysan est le plus développé, il s'est en partie fédéré au sein de la FONGS []);

Enfin, et il s'agit là d'une leçon bien connue, l'absence de suivi-évaluation et de supervision externe régulière et efficace sur le terrain aggrave considérablement les risques d'échec d'un projet. Le principe de programmation annuelle, malgré tous ses défauts, aurait pu au moins faciliter les réajustements progressifs du PML si ces fonctions avaient été remplies. En réalité, les prestations de la BAD ont plus gêné qu'amélioré la mise en oeuvre du projet (en particulier pour la réalisation des investissements lourds mais aussi pour la mise en place à temps des intrants agricoles). Il ne fait pas de doute que, dans ces conditions, un suivi beaucoup plus rapproché de la part du FIDA aurait été nécessaire.

 

 

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